Cela faisait un long moment que je cherchais une montre à cadran bleu, qui me convienne. Malheureusement, j’ai un a priori nettement négatif pour cette couleur, ses difficultés à la marier avec un bracelet adéquat, ou encore avec des vêtements noirs – je m’habille souvent en noir. Néanmoins, j’avais fait une première sélection de montres bleues, parmi lesquelles se trouvaient une Amphibia boîtier 120 néo-Dude, que j’aurais moddé avec un insert Dagaz batman, la Sumo de Seiko, ou encore – et ce modèle avait ma préférence – la HOF Watches Seashore Azure, en finition sablée ou encore DLC. Cette dernière montre est produite par Damien Koch, le sympathique et excellent fondateur de la marque HOF (Watch & Strap, Toulouse). Je vous conseille de vous renseigner, si vous ne la connaissez pas, sur cette marque très très prometteuse, et française.

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Toute la gamme des finitions de la HOF Seashore Azure.

J’avais également lorgné du côté de Steinhart et de la Ocean One Premium Blue, mais elle me semblait trop bleue (ou plus exactement trop flashy). Ou encore du côté d’une Yema Superman bleue, mais ne connaissant pas suffisamment cette marque (il faudra que je corrige cette carence), je ne m’y suis pas risqué.

Et puis j’ai découvert la Seiko Kakume. Ce fut une révélation, lorsque je tombai sur les photos de l’ami 911typ_g, qui émaillent tout Instagram. Ce chrono (et ses cousins, la 6138-0040 Bullhead par exemple, ou encore la famille des 6139, la Pogue notamment) que j’avais jusque-là regardé d’un œil distrait, me paraissait désormais absolument désirables. Alors je ne pouvais que franchir le pas, ce que j’ai fait grâce d’une part à mes amis de MPT, qui m’ont alerté sur l’existence d’une bonne affaire, et grâce d’autre part au vendeur, un sympathique collègue alsacien.

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Le chrono 6138-0040 Bullhead

Résistante à 7 ATM, montée sur un verre hardlex, la Kakume existe en cadran bleu sombre (qui lui donne un look de sportive assumée) et en cadran champagne (qui donne un style légèrement plus sage). Elle a été produite de 1974 à 1978. La version bleue, présentée ici, est plus courante que la champagne (dont vous trouverez une photo plus bas). Comme bien souvent, la version japonaise de cette montre comporte une inscription « 5 Sports, Speedtimer« , alors que les versions destinées à l’export sont plus classiquement labellisées « Chronograph automatic« . Ma montre date de septembre 1977, d’après les résultats du Seikocalculator.

Cette tocante mesure tout de même 43 mm, ce qui n’est pas rien, y compris au regard des standards contemporains. Mais ce n’est absolument pas un souci pour moi, j’ai l’habitude de porter du 42 (type Steinhart) voire du 45 (type Sumo). L’effet massif de cette montre est d’ailleurs accentué par un entrecorne de seulement 18 mm. Les deux bracelets originaux, en métal, épousaient parfaitement la forme du boitier et compensaient ainsi l’étroite entrecorne par un début de bracelet plutôt large. Même s’il ne s’agit pas d’un des deux bracelets d’origine, le vendeur m’a fait parvenir cette Kakume avec un bracelet de type Endmill parfaitement adapté au style de la montre. Toutefois, celui-ci ayant un peu de vécu (et de jeu), je lui ai substitué un autre Endmill que j’avais en stock, proche du premier quoique de format 18/18 (celui du vendeur est un 18/16 je pense), qui épouse certes un tout petit peu moins bien la forme du boîtier, mais qui a l’avantage d’être neuf (et de comprendre un système de fermeture plus sécurisant…)

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L’un des deux bracelets originaux, un fishbone parfaitement adapté (extrait du catalogue d’époque)

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Examinons à présent cette montre dans le détail, après un bref rappel de l’histoire mouvementée des chronographes d’origine nippone.

Une histoire mouvementée

A quoi servent les chronographes ? Quelques rappels, issus du site horlogerie-suisse :

Au cours de la seconde moitié du 18ème siècle, lorsqu’on a introduit une aiguille de secondes sur les montres de poche, on rechercha un dispositif permettant de l’arrêter. Au début, la solution fut d’arrêter le mouvement, à l’aide d’un petit levier.

Vers 1800-1840 on ajouta un mouvement complet pour les secondes, possédant son propre barillet, dont sa seule fonction était d’assurer la rotation de l’aiguille des secondes qui effectuait un saut toutes les secondes (sec. mortes).

Un premier chronographe (enregistreur de temps) fut inventé par Rieussec en 1821-22, il était doté d’un cadran tournant et d’un mécanisme d’inscription à l’encre qui faisait des points ou des traits sur le cadran. En 1832 Rieussec proposa un chronographe avec aiguille tournante et cadran fixe. Il fit également des chronographes de poche qui possédaient deux ensembles de rouages dont un pour la montre normale et l’autre pour le chronographe.

La plupart des chronographes produits jusqu’à la fin des années 60 sont à calibre mécanique à remontage manuel. Bien qu’en 1947, la société Lemania ait tenté de produire un chrono à remontage automatique, elle ne rencontre pas un grand succès. L’année charnière, celle de tous les bouleversements, celle qui fait basculer l’horlogerie dans un autre monde, c’est 1969. Le 10 janvier de cette année-là, Zenith/Movado sort le désormais célèbre El Primero. Coup de tonnerre. C’est encore aujourd’hui la principale source de profit et de renommée de Zénith. Coup marketing aussi, car d’autres concurrents développaient également des chronographes automatiques, mais se sont fait couper l’herbe sous les pieds dans cette formidable course de vitesse.

Deux mois plus tard, donc, le consortium (excusez du peu) Büren-Hamilton, Breitling, Dubois-Dépraz et Heuer-Leonidas sort le calibre 11 Chronomatic, lui aussi à remontage automatique.

Les Nippons ne sont pas du genre à rester bras croisés, ni à rester en retard d’innovation, et c’est quelques mois plus tard de la même année 1969, en mai, que Seiko défie les Suisses. Cette concurrence technologique s’est faite au travers du calibre 6139 à 12 lignes, composé de 21 rubis et disposant d’une indications du jour, de la date et d’un compteur totaliseur de 30 minutes. Un an plus tard, en 1970, sort le calibre 6138, qui est une évolution du 6139. Il repose sur le même mouvement de base que son prédécesseur, avec néanmoins quelques nouveautés comme l’apparition d’un compteur totalisateur de 12h et surtout d’un remontage manuel additionnel en sus du remontage automatique.

Crédit Flickr
Crédit Flickr

Le mouvement

Le calibre 6138 de Seiko est extrêmement réputé, et c’est mérité. Un assez grand nombre de variantes de ce chronographe sont sortis dans les années 70. Parmi celles-ci, la 6138-003X incarne une version très sportive de ce mouvement, et est l’une des plus connues. Ce qui saute aux yeux, immédiatement, c’est le cadran qui comporte des sous-compteurs carrés (sur une montre de forme ronde !). Le nom de baptême des fans de cette montre, Kakume, provient d’ailleurs directement de cette particularité, puisqu’en japonais, kakume signifie « yeux carrés ».

Le calibre 6138 comporte une roue à colonne. La documentation complète sur ce calibre est disponible ici.

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Crédits Kaltan1

Pour ceux que ça intéresse, voici les spécifications techniques du mouvement 6138 Seiko :

6138 Technical Specifications

Seiko 6138A
Functions
automatic chronograph, 60s, 30min, 12h pillar wheel
day: quickset through crown, 2 languages
date: quickset through crown

Data
12 »’, Dm= 27.0mm, Do= 27.4mm, H= 8.0mm, (dial spacer +0.2mm)
21 jewels
f = 21600 A/h
power reserve 45h

Balance staff Seiko 315611

Stem Seiko 354616

Mainspring / battery
Seiko 401616

Hands
1.50 x 0.90 x 0.26 / 0.26 x 0.26mm

Seiko 6138B
(modified switching mechanism)

Features
automatic chronograph, 60s, 30min, 12h pillar wheel
day: quickset through crown, 2 languages
date: quickset through crown

Data
12 »’, Dm= 27.0mm, Do= 27.4mm, H= 8.0mm, (dial spacer +0.2mm)
21/23 jewels
f = 21600 A/h
power-reserve 45h

Balance staff Seiko 315611

Stem Seiko 354616

Mainspring / battery
Seiko 401616

Hands
1.50 x 0.90 x 0.26 / 0.26 x 0.26mm

Cette page liste la totalité des variantes du mouvement 6138. Vous pourrez notamment voir très clairement les deux bracelets différents qui ont équipé, année après année, cette montre.

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Le boitier

Le boitier est en acier inoxydable. Il est massif mais passe excellemment bien sur mon poignet. Cette montre dégage une robustesse très intéressante et sa forme est très particulière. C’est en effet un mix d’arrondi sur les côtés gauche et droit, et carré sur le nord et le sud de la boite. Une très très grande réussite en terme de design, à mon avis bien sûr.

Le cadran est encerclé par une lunette tachymétrique de type « Speedmaster » de couleur bleue sombre, à l’efficacité absolument redoutable.

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Le cadran

Il est d’une lisibilité extraordinaire. Plutôt chargé, typique des seventies, ce qui me plait comme vous le savez. Les index sont de forme bâton, comme bien souvent sur les chronographes, et comprennent à leur base un petit carré luminescent. Ils sont appliqués et présents de 5 en 5 minutes. Les index mineurs des minutes sont plus fins. Chaque minute est elle-même divisée en 1/5 d’index. Les index mineurs sont peints en couleur blanche et non luminescents.

La littérature est extrêmement sobre et peu verbeuse. Elle est présente à 9h, avec l’inscription « SEIKO » en majuscules et dessous, toujours en majuscule, on peut lire « CHRONOGRAPH AUTOMATIC » (il existe d’autres variantes d’inscriptions).

A droite de l’axe des aiguilles, est représenté ce logo : . C’est le sigle de Suwa Seikosha, unité de fabrication à l’époque, en concurrence/partenariat avec Daini Seikosha (crédit information: Alemmar).

La montre est par ailleurs pourvue d’un autre complication, en plus du chronographe, le quantième. Ce dernier se présente sous la forme d’un double guichet pour un affichage du jour et de la date sur deux disques distincts à fond noir. Les deux guichets sont de forme rectangulaire et séparée par une partie du cadran. La fenêtre du jour laisse apparaître les trois premières lettres du jour de la semaine en anglais ou en kanji, dans ma version. Ces deux guichets sont cerclés d’un gris métallisé qui est raccord avec les index et les registres/compteurs.

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Justement, ce qui fait la spécificité de cette montre et lui confère un look automobile évident, c’est la présence, à 12h et à 6h, de deux registres/compteurs, de forme carrée. Eux seuls possèdent des chiffres, arabes. Ils sont de taille identique. Celui qui est situé au nord du cadran correspond aux heures du chronographe ; il affiche un total de 12 unités avec indication des index pour chaque demi-heure. Les chiffres 3, 6, 9 et 12 sont inscrits en lettres noires. Le second compteur, situé au sud du cadran, renseigne sur les minutes du chronographe avec un double affichage 30mn et 60mn. Les chiffres 30/60, 10/40 et 20/50 sont écrits avec la même police de caractère que le compteur des heures. Les chiffres 40/50/60 sont de couleur jaune. C’est à la fois original et très sympa !

En version cadran champagne, le bracelet cuir passe bien (mieux).
En version cadran champagne, le bracelet cuir passe bien (mieux).

Les aiguilles des heures et des minutes sont de type « bâton », la trotteuse des secondes du chronographe est de couleur rouge, ainsi que les aiguilles des 2 registres/compteurs. A noter qu’il n’y a pas de trotteuse des secondes en tant que telle, ce qui ne manque pas de perturber un maniaque de la précision horaire (et non horlogère) tel que moi !

La remise à zéro du chrono se fait de manière douce et précise.

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La couronne

La couronne est située à 3h et non-vissée, elle est dentelée sur tout son pourtour, elle n’est pas siglée. Elle autorise le remontage manuel du calibre de la montre. Elle peut être tirée de deux crans pour permettre un double réglage de la date, du jour (1er cran) ou du temps (2ème cran).

Les poussoirs sont au nombre de deux. Ce qui est très intéressant, après plusieurs observations c’est que le poussoir du haut est situé légèrement au dessus de l’index des 2h, il est donc assymétrique, alors que le second est placé dans l’axe exact de l’index des 4h. La surface d’appui est plate.

L’utilisation de ces poussoirs est très classique : le premier à 2h, permet le lancement, l’arrêt du chronographe ainsi que la reprise de celui-ci, et le second à 4h permet la remise à zéro de l’ensemble des aiguilles de couleur rouge des registres.

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Le fond

Le fond est vissé avec 6 encoches également réparties. Sont gravées les inscriptions suivantes en majuscules :

SEIKO
WATER RESISTANT,
le numéro de série XXXXXX (qui correspond donc, pour moi, à septembre 1977),
le lieu de fabrication JAPAN A,
le symbole présent sur le cadran évoqué plus haut,
la matière de la boite : STAINLESS STEEL,
et enfin la référence du calibre et du modèle : 6138-0030

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La cote

Cette Seiko se trouve sur le marché du vintage a des tarifs qui restent relativement raisonnables. Comparativement à ses consœurs suisses, bien évidemment. Mais il faut savoir aussi que les 6138, peut-être parce qu’ils sont plus complexes, sont un poil plus chers que les 6139. Enfin, dernier élément à prendre en considération, le degré de rareté du modèle de chronographe. La Kakume bleue n’est pas parmi les plus rares des 6138.

Par conséquent, on peut trouver une Kakume de ce type à partir de 200€ en état très vintage, et jusqu’à 450€ en full set avec pièces d’origine. Il faut faire attention aux modèles qui paraissent en un peu trop bon état, la plupart du temps ils intègrent un grand nombre de pièces aftermarkets. En effet, les chronos Seiko étant nettement moins chers que les chronos suisses (on pourrait dire la même chose des plongeuses), ce sont des montres qui ont été portées, durant des années, et qui ont donc parfois pas mal vieilli. Il est par conséquent assez difficile de trouver des Kakume en parfait état et d’origine.

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Conclusion

Une montre extrêmement attachante, à un tarif qui reste relativement raisonnable, en tout cas bien plus raisonnable que ses cousines suisses. En 2012, Seiko a sorti un hommage de sa montre d’époque :

Crédits Seiko

Je termine, comme à mon habitude, par quelques photos diverses qui, je l’espère, vous plairont !

Crédit photo WUS
Crédit photo WUS
Crédit photo WUS
Crédit photo WUS
Crédit photo WUS
Crédit photo WUS

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